Les réseaux sociaux et le social selling n’ont pas attendu Internet pour exister, ils existent depuis la nuit des temps. Je parle bien sur des réseaux sociaux et du social selling physiques. Mais c’est par abus de langage que l’on utilise le terme « social selling » et « réseaux sociaux » pour parler du « social selling online » et des « réseaux sociaux online ». Le social selling et les réseaux sociaux physiques ont été utilisés depuis toujours en vente. Et les nouvelles technologies ne doivent pas nous faire oublier qu’elles ne changent en rien à ce qu’a été la vente depuis toujours ; au contraire elles nous ramènent aux sources.
1. Les origines du social selling
Au début de l’histoire, les femmes et les hommes achètent à des femmes et des hommes.
Aujourd’hui quand on parle place de marché, les générations Y et Z pensent à ebay et aux places de marché en ligne. Mais l’histoire nous rappelle que les places de marché sont l’élément central autour duquel les villes se sont développées en Europe à partir du X° siècle. À cette époque, les marchands passaient de ville en ville, et le marché médiéval était l’élément de régulation naturel du commerce. C’est un bon exemple de « social selling » vieux de 10 siècles. Le social selling d’alors reposait sur cinq caractéristiques particulières.
- Personnel: le client achetait à un vendeur qu’il connaît, qu’il voit régulièrement, devant chez qui certains passaient pour aller au marché.
- Interactif: Il était possible de lui renvoyer un feed-back
- Instantané: SI un client était mécontent, le marchand le savait immédiatement, car le client revenait à l’échoppe, voire à la porte de sa maison.
- Propice au bouche-à-oreille et aux recommandations: il n’y avait pas de marketing de masse et de publicité à cette époque! Si le vendeur trompait un client, la rumeur circulait rapidement et le vendeur perdait ses clients. Et inversement.
- Social: Le marché était aussi le lieu de rencontres, ce n’est pas qu’une affaire d’achat et de vente. Les gens aiment fondamentalement parler, échanger.
Le média papier : les débuts du social selling sans « social »
Puis vint le média papier : c’est en 1450 que se produit la première révolution, à Mayence. Un certain Gutenberg invente l’imprimerie et permet la reproduction massive des documents. La page imprimée devient accessible au grand public. On constate l’apparition du flyer (petite page imprimée, généralement distribuée à la main dans la rue). Cette époque ouvre une nouvelle voie au social selling: le contact commercial sans contact personnel avec le vendeur pour la première fois depuis des siècles. Un genre de social selling sans « social ».
- La presse: en 1633, Théophraste Renaudot lance une brochure, en parallèle avec La Gazette, destinée aux annonces des particuliers et des marchands, mais c’est un échec, car de nombreux corps de métier interdisent toutes formes de publicités. Pour autant ce n’est que partie remise, le mouvement est lancé: en 1660, Le Mercurius Politicus publie dans sa revue une publicité pour du dentifrice. Il s’agit vraisemblablement d’une des premières publicités imprimées dans un périodique.
Le 16 juin 1836, Émile de Girardin fait insérer pour la première fois dans son journal, la Presse, des annonces commerciales, ce qui lui permet d’en abaisser le prix.Enfin la libéralisation de la presse, qui se développe véritablement à partir de la III° république, requiert un financement plus important, et par suite une présence accrue de la publicité dans les journaux. En 1896, plus de 37 % des recettes du Figaro sont dues à la publicité. - L’affiche: lancée en 1894 par Alfons Mucha qui réalisa la première affiche
publicitaire pour Gismonda, la pièce de Sarah Bernhardt jouée au Théâtre de la Renaissance, ce média se généralise au XX°. - L’impression sur le packaging: On voit ensuite les logos de marques s’étendre aux emballages et vers 1920 aux produits dérivés (boîtes d’allumettes, cendriers, etc.)
La radio et la télévision : le « social selling sans social » de masse
1920: le média radio : Il faudra attendre 1920 pour que le deuxième pas significatif soit franchi. L’invention de la radio en en novembre 1922, permettra l’apparition de la publicité radiophonique. L’ère de la communication de masse était née! Le social selling sans « social » pouvait passer à la vitesse supérieure.
En 1966 le spot publicitaire fait son apparition. Les messages sont placés dans le cours d’un programme dont seule la station est responsable. La publicité n’est plus enregistrée par des speakers à la voix suave, mais lue en direct. Les succès d’audience des radios périphériques, leur dynamisme nouveau, attirent les annonceurs. Les entreprises se sont mises à acheter du temps d’antenne, et à produire des messages publicitaires. Sans le savoir, on avait créé à cette époque le premier outil numérique de masse pour éloigner les vendeurs des clients: ce que j’appelle le social selling sans le « social ».
1960: le média télévision : et en 1968 l’accès de toutes les marques à la publicité télévisuelle (L’ORTF s’ouvre à la publicité de marque avec des exceptions ponctuelles : Lingerie, Carburants, Disques, Margarine, « en vue de respecter les intérêts fondamentaux de l’économie nationale »).
La télévision a décuplé les possibilités de toucher un nombre massif de prospects possibles, à des coûts toutefois assez élevés. Seules les grosses entreprises en ont profité et en profitent encore. Cette fois-ci on avait inventé le »social selling sans social » de masse!
L’essor du web 1.0 : l’avènement du « social selling » sans « social »
1994: l’essor du WEB 1.0. Et enfin le web a encore plus multiplié l’audience accessible, tout en diminuant le coût et le temps nécessaire pour toucher le plus grand nombre. Et aujourd’hui la majorité des entreprises publient une vitrine sur leur site web, font l’autopromotion de leurs produits et services, mettent en téléchargement leurs communiqués de presse. Dans le même temps, les commerciaux font la même autopromotion de leur propre personne en publiant leur CV sur Linkedin ou Viadeo.
Jusque-là l’essor des nouveaux médias n’a fait qu’augmenter le nombre de personnes qu’une entreprise peut toucher dans un temps de plus en plus court sans rapport humain avec le vendeur. Mais aucun de ces médias n’a changé les mécanismes du commerce: Il faut bien comprendre que tous ces médias, Facebook et Linkedin compris, sont des médias « froids »: ils stockent de l’information comme on stocke de la nourriture dans un réfrigérateur, et on espère que l’utilisateur viendra se servir avant qu’elle ne soit périmée. Que cette information soit stockée dans les colonnes d’un journal, ou sur un mur Facebook ne change rien aux mécanismes: c’est juste l’ampleur de l’audience et le temps réduit pour la toucher qui change.
Le tsunami des réseaux sociaux ramène le « social selling » à ses valeurs d’origine.
2002 : L’arrivée des médias sociaux va en réalité ramener le social selling à ses cinq valeurs d’origine. Le fait remarquable c’est qu’il suffira de 15 ans pour revenir 1500 ans en arrière, tellement l’audience de ces nouveaux médias s’est envolée depuis 2000 à une vitesse incroyable.
En l’espace de 10 ans, les revenus publicitaires de la presse papier sont revenus au niveau où ils étaient en 1950, et le phénomène ne touche pas que le papier. Nielsen rapporte que pour la première fois de l’histoire de la télévision, le nombre d’heures de télévision par individu est en baisse: le consommateur s’éloigne du concept du programme regardé à l’heure programmée par la chaîne, il veut consommer le programme quand lui le décide, sans se voir imposer des pubs, et s’oriente vers Hulu ou Netflix, et le consomme quand bon lui semble sur son iPad.
- Netflix est le leader: plus de 4 milliards de $ de CA, 48 millions d’utilisateurs dans le monde, 34% du trafic internet aux US aux heures de pointe, le plus gros consommateur de bande passante au monde devant You Tube, plus de 10 millions de $ de bénéfice net
- Hulu c’est le petit outsider: passé de 63 millions de streams à 373 entre avril 2008 et avril 2009, de 3 millions d’abonnés payants en 2012 à 6 millions en 2013, c’est en 2013 un CA d’un milliard de $
Même les sites web sont en baisse: la fréquentation des 2/3 des sites des plus grosses entreprises mondiales a été en baisse depuis 2010. Depuis 2000, toutes les dépenses de communications dites « interruptives » des annonceurs sont en baisse au global: ici en % du PIB en France. Tous les médias interruptifs sont concernés.
Est-ce que cela signifie que les médias traditionnels interruptifs sont morts? Où est-ce que partent les budgets et l’audience? Vous savez à l’heure où vous lisez ces lignes qu’ils sont sans doute sur les médias sociaux, et pourtant peu mesurent encore ce que les médias sociaux ont changé au WEB et au social selling.
Le tsunami des médias sociaux
Quel rapport avec un tsunami? Un tsunami change le paysage définitivement, en le ramenant souvent proche de ce qu’il était il y a des centaines d’années en arrière. C’est là que le phénomène des médias sociaux devient intéressant, et a bouleversé le WEB. C’est un véritable retour en arrière dans le temps… vers le futur! Analysons les caractéristiques du web-social et du social selling à l’heure des réseaux sociaux:
- Personnel: Pour bénéficier des apports du WEB l’entreprise doit oublier les notions de B2B, B2C et de communication institutionnelle. Elle doit penser P2P, Personne à Personne. Les médias sociaux sont SOCIAUX et la communication est PERSONNELLE, d’individu à individu, pas d’entreprise à personne. Ce client qui décide de ce qu’il voit à la télé – quand il le voit – et sans pub… décide aussi de qui il rencontre sur le web et quand. Il ne se laisse pas imposer une propagande publicitaire par une entreprise. Il veut de l’information authentique, et la dernière personne dont il a envie de l’entendre est du vendeur ou de son entreprise dont les propos sont forcément biaisés par leurs intérêts.
- En revanche il passe du temps avec des personnes, des individus, spécialistes et experts, capables de lui faire gagner du temps, économiser de l’argent, de l’enrichir personnellement ou professionnellement, de solutionner un problème qu’il rencontre, de contribuer à son bien-être, de lui faire plaisir, de le faire sourire,
- Interactif: Il est possible de renvoyer un feed-back instantané: commentaires, forum, compliments, reproches ou questions: ça n’a jamais été aussi facile.
- Instantané: Si un client est excédé par vous, votre entreprise, trouve votre vidéo sur You Tube nulle etc… vous n’allez pas tarder à le savoir. Si ce n’est vous, ce seront les autres: car si vous n’êtes pas à l’écoute de ce web social, ça n’empêchera personne ne s’y exprimer: vous passez seulement à côté de l’information.
- Propice au bouche-à-oreille et aux recommandations: Les réseaux sociaux autorisent tout le monde possédant un clavier et une connexion internet à s’exprimer. L’influence s’est démocratisée. Il y a 50 ans, aux prémices de la télévision, il y avait un journaliste spécialisé capable de diffuser une information vue et entendu par un million de personnes au journal télévisé ou en prime time. L’explosion des magazines a porté le ratio à 1 pour 100 000: un auteur dans un magazine majeur pouvait toucher 100 000 personnes, dont la majorité était des consommateurs, incapables de publier leur avis. Puis la multiplication des chaînes et des revues a porté le ratio à 1 pour 10 000: le nombre de personnes capables de diffuser une information sur un sujet ou un autre (que ce soit sur la manière de cuisiner ou la plongée sous-marine…) a été multiple par 10. Puis avec les quelques 200 millions de blogs, 3 millions crées chaque mois dans le monde, la facilité d’accès aux forums, le ratio est monté à 1 personne sur 100 capable de publier de l’information lue par la planète. Chaque personne qui tweet aujourd’hui a en moyenne plusieurs centaines de lecteurs qui consomment son information.
- Social: en France le temps moyen passé par jour sur les médias sociaux et d’une heure et demie. Or personne n’est « obligé » de passer du temps sur les médias sociaux. Beaucoup de gens ne sont même pas conscients d’être sur des médias sociaux: en effet les blogs ressemblent à des sites web, – ce sont des sites web – et beaucoup d’internautes ne les assimilent pas à des réseaux sociaux limités dans l’esprit collectif aux plateformes de chat, forums, Facebook, Twitter etc…
Les gens sont là parce qu’ils y trouvent:
- une information de valeur,
- Une information gratuite (même s’il y a toujours un payeur invisible),
- Une information perçue comme authentique (à tort, car elle est le plus souvent au profit du payeur)
- Les opinions des autres qu’ils ont envie de connaître
- La possibilité d’exprimer leur propre opinion
- Une place publique sur laquelle ils peuvent socialiser, ce que l’être humain fait depuis toujours.
En fait les caractéristiques des médias sociaux et du social selling sont fondamentalement différentes de ce qu’était le WEB 1.0 des années 2000: les sites web des entreprises étaient un média de communication institutionnelle comme la télévision, la radio, presse et tous les médias traditionnels depuis 100 ans. Il est encore cela pour beaucoup d’entreprises notamment en B2B.
Les médias sociaux ont ni plus ni moins qu’interrompu l’infléchissement naturel qu’avait pris la vente et le social selling depuis l’introduction des médias de masse et du mass-marketing au début du XX°.
Nous avions appris à cette époque qu’on pouvait vendre efficacement en diffusant des messages publicitaires à la télévision, à la radio ou sur le Web – et on peut toujours le faire
Mais on avait aussi créé une barrière digitale entre le client et le vendeur. Et le Web a amplifié l’effet de cette barrière qui fait qu’aujourd’hui un client réalise en moyenne 60% de son parcours d’achat en B2B (bien plus en B2C) avant d’avoir rencontré le moindre vendeur.
Ce faisant on avait enclenché un mécanisme dans lequel la vente et le social selling perdaient de plus en plus le côté humain que les gens ont pourtant recherché et apprécié des siècles durant. Et le pire c’est d’une certaine manière ce process rassurait le management des entreprises par le contrôle possible de leur communication institutionnelle: moins elle était aux mains des hommes et femmes de l’entreprise, plus elle était contrôlée par l’entreprise.
C’est ce dernier point qui explique la résistance de beaucoup de dirigeants à exposer la communication de l’entreprise via des individus libres de communiquer ce qu’ils veulent, et dont on craint le pire, sur un compte Linkedin, Twitter, un blog, Facebook… Nous sommes conditionnés à diffuser des messages promotionnels réfléchis, pas à autoriser nos collaborateurs à exprimer les leurs ; et encore moins à autoriser les clients à publier leurs avis, leurs visions, surtout s’ils sont négatifs.
D’où la réaction de beaucoup d’entreprises qui est d’utiliser les nouveaux médias sociaux avec les méthodes et les objectifs des médias traditionnels: diffuser des messages au nom de l’entreprise, en faveur des produits, des services, et des événements de l’entreprise.
Pourtant l’histoire nous a toujours appris qu’utiliser les outils modernes avec les méthodes d’hier ne conduit qu’à des catastrophes.
Il y a une autre manière de comprendre les médias sociaux. Il s’agit de comprendre qu’ils nous ramènent au marché médiéval et au social selling du moyen âge évoqués au début de cette histoire, dont ils partagent les mêmes caractéristiques et les mêmes avantages. Un outil marketing dont les principales caractéristiques sont d’être personnel, interactif, immédiat, propice au bouche-à-oreille, social. En fait on revient à ce que l’être humain a toujours aimé et désiré: le contact de personne à personne. Les femmes et les hommes achètent à des femmes et des hommes.
Le seul changement est un retour en arrière vers un bien perdu: il nous est possible maintenant à nouveau d’humaniser l’entreprise, la vente, et le social selling, tout en y associant le pouvoir de masse, et donc de permettre une sorte de renaissance de la démarche commerciale, avec plus de puissance encore.
Mais profiter de ce retour en arrière dans le futur nous demande de revoir entièrement nos anciennes pratiques devenues totalement inadaptées aux nouvelles technologies.
4 Responses
Merci Jean-François pour cet article. Ton point de vue est super intéressant. Il donne une belle hauteur de vue pour mieux réfléchir au social selling.
Un article nourri et très intéressant. Merci beaucoup !